Concept central de la culture norvégienne et considéré comme « typisk norsk » (traditionnellement norvégien), la friluftsliv est bien plus qu’un simple passe-temps : c’est un mode de vie, ancré dans l’histoire et la mentalité des norvégiens. Pour mieux comprendre ce qui fait vibrer la Norvège et vos (peut-être) futurs compatriotes, plongeons dans cette philosophie de vie particulière.
Qu’est-ce que la « friluftsliv » ?
Ce terme, littéralement traduit par la « vie de plein-air » en français, désigne le rapport privilégié qu’entretiennent les norvégiens avec la nature. Cela fait référence à la fois à l’habitude et au droit (voire article sur l’« allemannsretten », le droit d’accès à la nature) qu’ont les norvégiens de profiter de la nature de la manière qui leur sied le plus, par pur loisir.
Il peut s’agir de tout et n’importe quoi tant que cela a lieu en extérieur. Traditionnellement, cela fait référence à la pêche, la chasse (oui, aussi…), la cueillette, le ski de fond et les raquettes, les balades au grand air, la randonnée en forêt ou en montagne et le camping en pleine nature.
Jusqu’ici tout cela paraît bien banal je vous l’accorde, mais si je vous dis qu’en Norvège vous pouvez passer un diplôme universitaire (une Licence) en Friluftsliv ? Ah ben là, vous commencez à entrevoir l’importance de cette notion !
Pourquoi la friluftsliv est-elle typisk norsk ?
Nous autres français me direz-vous, profitons également de notre nature après tout, non ? Bien sûr, bien qu’il s’agisse d’un terme et d’un mode de vie présenté comme nordique, toutes les nations vont se promener de temps à autre en forêt et on n’en fait pas tout un fromage. Certes.
La différence réside peut-être dans le nombre de personnes qui s’adonnent à ces activités et également dans la fréquence à laquelle elles y prennent part.
Une pratique culturelle et historique
Le lien des norvégiens avec la nature remonte à des siècles, tirant directement son origine dans la manière de vivre de leurs aïeux. Avant l’industrialisation, la vie quotidienne était largement dictée par les saisons et la géographie du pays (et oui, quand on vit sur un sol recouvert de montagnes, on ne fait pas toujours ce qu’on veut !), ce qui obligeait les habitants à vivre en symbiose avec les éléments. Il n’était pas encore question de rester chez soi bien au chaud et de faire de l’agriculture en télétravail.
Au milieu du XIXème siècle, cela s’est encore plus enraciné dans les mentalités avec le mouvement du nationalisme romantique (nasjonalromantikken) qui faisait la part belle aux coutumes et traditions en réaction à la société industrielle en plein essor. Notamment par la peinture et la littérature, exaltant la beauté de la nature norvégienne et la communion entre humains et environnement, cette relation a été idéalisée et glorifiée.
Adolph Tidemand og Hans Gude, «Brudeferden i Hardanger»
Une mentalité particulière : « il n’y a pas de mauvais temps, que des mauvais vêtements »
Comme l’indique ce dicton, les norvégiens ne sont pas effrayés par quelques flocons ou un mercure négatif et cela résume fort bien l’esprit de la friluftsliv. Peu importe la météo, il n’est pas question de rester enfermé à l’intérieur : les norvégiens adaptent leur tenue, (leur mental aussi, avouons-le) et sortent profiter de leur environnement.
L’exemple le plus frappant ? Les bébés norvégiens font la sieste dehors, dans leur poussette, et ce, même au cœur de l’hiver ! Impensable pour nous.
Un élément essentiel du système éducatif
Le style de vie norvégien de la friluftsliv est inculqué dès le plus jeune âge. Dans, disons, l’équivalent de nos écoles maternelles, il est plus que commun de voir les enfants passer plusieurs heures dehors chaque jour, quelle que soit la saison, la luminosité et l’épaisseur de neige.
Ayant moi-même un peu travaillé dans ces écoles, je peux vous dire que ça m’a surpris au début de voir de jeunes enfants demander à sortir s’amuser dans le froid alors qu’on était si bien à l’intérieur, au chaud, et j’espérais secrètement qu’on ne me demanderait pas d’aller les surveiller !
L’objectif est de leur apprendre à apprécier et respecter la nature, mais aussi à prendre confiance en eux et à devenir autonomes et résilients. Cela dit au passage, la friluftsliv fait officiellement partie des programmes scolaires.
La vie de plein-air : une expérience quasiment spirituelle ?
Au-delà de tout ça, ce besoin de connexion avec la nature environnante est aussi purement et simplement lié au fait que la nature, en Norvège, est justement environnante ! On ne peut pas toujours en dire autant en France où tout le monde n’a pas facilement accès à une montagne, un lac, ni même à une forêt.
Un bienfait pour le corps et l’esprit
Bien qu’on semble n’avoir que récemment compris les nombreux effets positifs qu’a le temps passé dans la nature sur notre santé, les norvégiens ne nous ont pas attendus.
Outre le ‘’simple’’ bien-être dégagé de la pratique d’une activité physique, en Norvège, la moindre balade dans la nature est perçue comme une « expérience » de la nature, une sorte de ‘’communion’’ avec elle, qui permettrait à la fois de jouir du paysage grandiose qui est le leur (ils auraient bien tort de s’en priver) et de prendre soin de sa santé physique et mentale. Tout cela d’une pierre deux coups. Pas si étonnant donc qu’ils sortent si souvent de chez eux, bravant froid et intempéries.
Une connexion forte à l’environnement et à une vision à long terme
Un autre aspect clef de ce mode de vie, c’est bien sur la protection de l’environnement. Le droit de récolter des baies, camper en plein villmarka ou skier hors-piste, s’accompagne aussi d’un devoir envers les générations futures : entretenir cette nature pour la léguer intacte aux prochains petits norvégiens.
Et petit fun fact, si vous regardez sur, et même dans les paquets de kvikklunsj, vous aurez plusieurs instructions à suivre pour honorer cette responsabilité.
La friluftsliv aujourd’hui : entre tradition et modernité ?
Même si la vie de plein-air fait toujours clairement partie intégrante du quotidien norvégien, comme tout, elle s’est un peu transformée.
Des activités plus diversifiées
Les activités pratiquées ne sont plus nécessairement les mêmes ou plutôt, de nouvelles, plus ‘’spécialisées’’, ont fait leur apparition ou gagné en popularité. On y retrouve par exemple du chien de traîneau, de l’escalade, du trail, du kayak, du paddle et du surf et l’émergence de clubs dédiés est également une nouveauté.
Une pratique parfois inégalitaire
SI la friluftsliv est un droit pour tous, certaines activités sont tout de même coûteuses. Ainsi, comme toujours, là où se trouvaient auparavant des écarts entre les différents lieux de vie (ville ou campagne), se creusent aujourd’hui des écarts entre les différentes classes sociales. Évidemment, plus une activité requiert du matériel spécifique, plus elle est onéreuse et donc moins de personnes peuvent s’y livrer !
Selon les revenus de votre foyer, vous pouvez cependant vous rendre dans un BUA et emprunter du matériel sportif gratuitement !
Une popularité renforcée par les réseaux sociaux
Pour autant, avec les réseaux sociaux et les selfies à tout va, la friluftsliv continue d’attirer et a de beaux jours devant elle ! (Bon, après, on peut discuter du surtourisme que ça engendre aussi) Donc pas de panique si vous ne vous installez en Norvège que dans quelques années, vous pourrez vous aussi décider de vous lever à 8h un dimanche matin pour aller prendre un bain au milieu d’un lac gelé (et mettre la photo sur Instagram) !